Article publié sur La-Croix.com le 03.10.2020
Horaires, rapports à la hiérarchie, relations avec les collègues… tout change quand on passe une frontière. Comme en Suisse où la culture du consensus prédomine.
Difficile de parler de travail en Suisse sans évoquer en premier lieu les salaires. En 2019, le pays arrivait premier du classement réalisé chaque année par HSBC Expat Explorer, et parmi les personnes consultées pour l’enquête, sept sur dix assuraient avoir choisi la Suisse pour cette raison. De fait, la moyenne de la rémunération annuelle des participants avoisinait les 110 000 CHF (101 800 €), dépassant sur ce critère les expatriés des États-Unis ou de Hong Kong, pourtant très bien lotis.
Mais si ce petit pays multilingue de 8,5 millions d’habitants a fait un bond de huit places dans le classement par rapport à l’année précédente, sacré pour l’occasion « paradis des expats », ce n’est pas seulement pour ses salaires et sa stabilité économique (le taux de chômage tourne cette année autour de 3 %). C’est aussi pour la qualité de vie et l’équilibre entre vie privée et carrière professionnelle que trouvent en Suisse les travailleurs venus d’ailleurs. Des facteurs qui ne sont pas sans rapport avec le fait que le pays abrite la plus grande communauté française de l’étranger.
Moins de jours fériés.. mais des journées moins longues
« C’est très paradoxal, analyse David Talerman, auteur du guide de référence Travailler et vivre en Suisse. Sur le papier, en France, vous travaillez moins qu’en Suisse où, selon les conventions et les secteurs, la moyenne est de 42 à 45 heures de travail par semaine. Mais la perception de cet équilibre est meilleure ».
Ce que le fondateur du site travailler-en-suisse.ch explique par des sphères professionnelles et privées plus cloisonnées qu’en France, et de façon plus générale, une culture au travail très influencée par le protestantisme. Il y a par exemple moins de jours fériés dans le canton de Genève que de l’autre côté de la frontière, mais les journées de travail s’étirent rarement au-delà de la fin de l’après-midi.
« Ils s’écoutent ! »
Avec une frontière et, pour sa partie romande, une langue communes avec la France, l’expatrié hexagonal pourrait être tenté de croire qu’il va se retrouver en terrain connu. Las ! Les différences culturelles, héritées de trajectoires et de constructions nationales opposées, sont profondes. Là où la France est très hiérarchisée, la Suisse apparaît comme un parfait exemple du fédéralisme, où les échelons sont moins nombreux, et plus écrasés.
« Si vous êtes un patron ou un manager en Suisse et que vous décidez de régler un problème tout seul, ça va être un fiasco. C’est l’implication de tous qui fait partie de la solution », explique David Talerman. Une culture du consensus qui va en toute logique avec un sens de l’écoute très éloigné du débat à la française, où la contradiction est reine. « Ils s’écoutent ! Vu de France, c’est de la science-fiction », s’amuse David Talerman.
L’obsession de la qualité
Mais ce qui différencie peut-être le plus les cultures suisse et française au travail, c’est le rapport à la notion de qualité. Dans une étude réalisée auprès d’ingénieurs suisses et français, le directeur de recherches au CNRS Philippe d’Iribarne, spécialiste de la sociologie des organisations, les a interrogés : quel serait leur état d’esprit s’ils arrivaient à résoudre un problème à 95 % ? Les Français ont répondu avec grande satisfaction, tandis que les Suisses étaient très angoissés à l’idée de ces 5 % restants… « L’idéal, en fait, conclut David Talerman, c’est de former une équipe qui associe les deux cultures ! ».
Isabelle Mayault (à Genève) service Économie, La-Croix.com